Rama Yade, la capricieuse, croit toujours en son destin
Le lendemain de la perte du triple A français, samedi 14 janvier, Rama Yade avait rendez-vous à l'Elysée. Elle n'avait pas vu le président depuis qu'il l'avait nommée ambassadrice de France auprès de l'Unesco, en guise de punition dorée après son éviction du gouvernement en novembre 2010. Il n'a jamais vraiment digéré son refus de se présenter aux élections européennes de 2009, qu'elle avait eu l'arrogance de considérer comme un "exil". Elle lui avait offert peu après des chocolats en forme de coeur mais, reconnaît-elle, "ça n'avait pas marché".
Cinq ans plus tôt exactement, le 14 janvier 2007, la jeune UMP de 30 ans qui allait devenir la coqueluche des sondages de popularité faisait une prestation remarquée à la porte de Versailles, avant le fameux discours d'investiture d'un Sarkozy disciple de Blum et de Jaurès. Le lendemain, le Landerneau politique jasait sur cette belle inconnue à la peau noire et à l'aplomb incroyable.
Le président en bout de mandat et en queue de sondages en est cette fois à un petit pour cent près. Il a reçu ces jours-ci un tas de proches de François Bayrou. Tous les soutiens sont bons à prendre et celui de Rama Yade n'est pas des moindres. Certes, elle n'est plus au faîte de sa gloire mais elle reste inexorablement l'une des personnalités préférées des Français. Sa capacité à s'attirer l'attention des médias intimide. Elle est un emblème pour les jeunes immigrés. Une femme de droite que la gauche aurait adoré avoir.
Celle qui peut rapporter en voix a un autre mérite : elle est orpheline de candidat. Elle a rejoint le Parti radical et a été abandonnée par son président Jean-Louis Borloo qui a renoncé à se présenter à l'élection présidentielle. Elle a récemment fait part de sa tentation de soutenir François Bayrou. Celui-ci nous dit ne l'avoir "jamais rencontrée", mais la trouver "sympathique" et, on l'aurait deviné, "comprendre qu'elle se tourne vers (lui)".
Pour Nicolas Sarkozy, il était donc temps de recevoir Rama Yade. Ces deux-là ne sont pas le contraire l'un de l'autre : ambitieux, orgueilleux, capricieux, parés d'un franc-parler et de tous les culots, fiers d'eux-mêmes et de s'être repérés l'un l'autre - lui qui l'a lancée et construite, elle qui se sent adoptée par lui. "Je ferais comme toi !", lui avait-il avoué lorsqu'elle le harcelait sans relâche pour obtenir une place dans le deuxième gouvernement Fillon. Il la tutoie, elle le vouvoie toujours, comme un rappel qu'il l'a vue grandir.
Ce 14 janvier 2012, le président qui n'est pas candidat déclaré lui a demandé, dit-elle, de participer à sa campagne et de le soutenir. La jeune femme lui a répondu qu'elle attendait le congrès des radicaux de mars où sera tranché leur soutien collectif. "On m'a assez dit que je jouais perso !", lui a-t-elle lancé. Elle a souligné l'ambiguïté de son statut à Colombes (Hauts-de-Seine) : elle se présentera aux législatives de 2012 face à son ennemi Manuel Aeschlimann, investi par l'UMP. Elle : "Cela pose un problème de cohérence." Lui : "Tu me parles de Colombes, je te parle de la France !"
Mais c'est pourtant Colombes qui obsède Rama Yade. La ville de son enfance, celle où elle a immigré du Sénégal et vécu en HLM avec sa mère et ses trois soeurs. La ville "chère à son coeur", comme elle dit souvent, ce qui a le don d'exaspérer son adversaire, le maire socialiste Philippe Sarre : "du cinéma ! " Elle sait que seule une légitimation par les urnes lui permettra d'aller plus loin. Conseillère régionale d'Ile-de-France, élue municipale à Colombes, elle veut arracher la circonscription à Manuel Aeschlimann. Et la mairie à Philippe Sarre.
Sa campagne commence mal. Rama Yade, déjà empêtrée dans une affaire de plagiat, s'est emmêlé les pieds dans une histoire de domiciliation montée en scandale par ses adversaires. Abordez le sujet de son appartement de Colombes, la jeune femme perd d'un coup le calme et les rires enfantins qui font son charme. Elle fouille dans son sac à la recherche d'une cigarette, la prend, la repose, tapote la table... "Je ne vais pas m'abaisser à leur niveau, s'énerve-t-elle. Ces gens-là ont peur de moi et n'existent que parce qu'ils parlent de moi !" Mais le mal est fait : un buzz d'enfer sur Internet.
Tout a commencé au conseil municipal d'octobre 2011. L'insolente Rama pontifie, ironise, dénigre. Elle provoque le maire qui, excédé, sort son joker : "Ça suffit, vos balivernes, vos insultes et votre superficialité ! (...) Vous n'habitez pas à Colombes ! (...) Vous êtes passible d'être rayée des listes électorales. Vous pourriez apporter les preuves de votre domicile, ce serait mieux." La suite, politisée à souhait et ennuyeuse à résumer, aboutit à une audience au tribunal et à une visite médiatisée de l'appartement colombien de Rama Yade... vide de tout meuble et inhabitable. "Un dégât des eaux a retardé mon emménagement", plaide la locataire. Ses explications ne convainquent pas. La juge tranche en sa défaveur : Mme Yade ne peut prouver sa domiciliation à Colombes. Elle est radiée des listes électorales dans sa ville.
On n'en est pas au générique de fin. Rama Yade est du genre que l'adversité galvanise, à l'instar du président qui lui a tant appris. "Ne pas pouvoir voter à Colombes ne m'empêchera pas de m'y faire élire !", prévient-elle. Elle s'emporte : "Moi, la capricieuse qui ai refusé d'aller au Parlement européen, j'ai toujours voulu rester à Colombes. On devrait plutôt me féliciter, quand tant d'autres sont parachutés !"
Avoir snobé les Européennes fait partie de ces griffures qui vous abîment un CV. Ce dédain affiché envers le Parlement européen a donné un argument à ceux, dans la majorité, que commençait à horripiler son omniprésence médiatique. Sur l'Europe, Rama Yade rappelle pourtant sa cohérence : elle avait, comme François Fillon, voté non au référendum de 2005. Elle révèle qu'après la proposition du président elle avait consulté deux grands sages lesquels l'avaient, dit-elle, "dissuadée d'aller à Bruxelles".
Valéry Giscard d'Estaing avait reçu la secrétaire aux droits de l'homme dans son hôtel particulier parisien, sous l'oeil protecteur d'un majordome aux gants blancs. Jacques Delors s'était déplacé jusqu'au Quai d'Orsay. "Delors m'a dit que quand on est parti, c'est difficile de revenir. Il m'a raconté qu'à son retour de la Commission, tout le monde à Paris l'avait oublié et qu'il n'avait même pas de bureau. Giscard m'a dit qu'on ne me confierait pas de dossier intéressant." L'un et l'autre ont confirmé ces propos au Monde, à quelques nuances près.
A l'UMP, ça grince. Fin 2007, le téméraire coup d'éclat de Rama Yade contre la venue à Paris de Mouammar Kadhafi lui vaut plus qu'une petite colère du président : de féroces jalousies, chez ses camarades, pour la gloire qu'elle en tire dans l'opinion. On ironise sur "la princesse", "l'enfant gâtée", grisée d'elle-même et qui a tout eu : belle, hautement diplômée, propulsée sans transition dans la hiérarchie de l'UMP, chouchoutée par Sarkozy parce que symbole des minorités visibles. A l'époque, Roselyne Bachelot se lâche : "Heureusement qu'elle n'est pas en plus lesbienne et handicapée, elle serait premier ministre !"
"Elle a mal géré sa notoriété, nous dit Isabelle Balkany, élue de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) et proche de Nicolas Sarkozy. Elle a joué les médias en se démarquant, elle a vu que la posture d'opposition lui réussissait. Mais elle propose quoi ? C'est comme un jeune chanteur : il sort un tube, il est célèbre, mais ça peut s'arrêter là." "Rama est en recherche, rétorque son nouveau mentor, Jean-Louis Borloo. Sous son air docte elle a l'inquiétude de comprendre la société, avec une vraie exigence républicaine". Le radical Dominique Paillé renchérit : "Deux femmes ont vocation à se trouver un jour à la tête du pays : Nathalie Kosciusko-Morizet et Rama Yade."
Musulmane pratiquante, laïque et républicaine, celle que le président avait brandie comme un symbole voudrait maintenant sortir de son propre emblème. Voir plus grand, viser large, bref, se faire élire. "Si je me suis distinguée dans le gouvernement, dit-elle, c'était pour qu'on ne me dise pas : "Sois diverse et tais-toi." Je veux travailler pour les minorités visibles comme invisibles, pour les petits blancs qu'on ne voit pas au JT de TF1. Comme l'a dit Condi Rice, je serai fière quand je serai un modèle pour les vieux hommes blancs."
Source : Le Monde Marion Van Renterghem
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